Promenoir Poétique 2022 | Nos cueillettes reprennent : Céline Piéri #02 lit Cécile Sauvage dans | Oeuvres complètes
24/02/2022
Cécile Sauvage 1883-1927Œuvres complètes, éditions la table ronde, 2002Nature, laisse-moi… page 47Nature, laisse-moi me mêler à ta fange,M’enfoncer dans la terre où la racine mange,Où la sève montante est pareille à mon sang.Je suis comme ton monde où fauche le croissantEt sous le baiser dru du soleil qui ruisselle,J’ai le frisson luisant de ton herbe nouvelle.Tes oiseaux sont éclos dans le nid de mon coeur,J’ai dans la chair le goût précis de ta saveur,Je marche à ton pas rond qui tourne dans la sphère,Je suis lourde de glèbe, et la branche légèreMe prête sur l’azur son geste aérien.Mon flanc s’appesantit de germes sur le tien.Oh ! Laisse que tes fleurs s’élevant des ravinesAttachent à mon sein leurs lèvres enfantinesPour prendre part au lait de mes fils nourrissons ;Laisse qu’en regardant la prune des buissonsJe sente qu’elle est bleue entre les feuilles blondesD’avoir sucé la vie à ma veine profonde.Personne ne saura comme un fils né de moiM’aura donné le sens de la terre et des bois,Comment ce fruit de chair qui s’enfle de ma sèveMet en moi la lueur d’une aube qui se lèveAves tous ses émois de rosée et d’oiseaux,avec l’étonnement des bourgeons, les réseauxQui percent sur la feuille ainsi qu’un doux squelette,La corolle qui lisse au jour sa collerette,Et la gousse laineuse où le grain ramasséRessemble à l’embryon dans la nuit caressé.Enfant, abeille humaine au creux de l’alvéole,Papillon au maillot de chrysalide molle,Astre neuf incrusté sur un mortel azur !Je suis comme le Dieu au geste bref et durQui pour le premier jour façonna les étoilesEt leur donna l’éclair et l’ardeur de ses moelles.Je porte dans mon sein un monde en mouvementDont ma force a couvé les jeunes pépiements,Qui sentira la mer battre dans ses artères,Qui lèvera son front dans les ombres sévèresEt qui, fait du limon du jour et de la nuit,Valsera dans l’éther comme un astre réduit.*Je suis grande, je suis la plaine fourragère,La grappe et le froment pendant à mon côté,Je marche et me répands ainsi que la lumière,Ma main verse aux labours les rayons de l’été.Je suis l’arbre fécond dont le bras fructifieEt je regarde avec un oeil gros d’infiniGrouiller dans mon giron les graines de la vieEt des chapelets d’oeufs ceindre mon flanc béni.Soleil, j’ai comme toi des tresses de semence,Mes pas font jaillir l’herbe et s’écarter le sol,J’ai le croissant d’argent pour corne d’abondanceQuand je jette la nuit les étoiles au vol.La fleur et le grillon dorment dans mes mamelles,Le faon des biches tremble et me lèche les piedsTandis que mon fils nu qui se joue avec ellesRit comme Jupiter sous les pis nourriciers.*La corbeille page 27Choisis-moi, dans les joncs tressés de ta corbeille,Une poire d’automne ayant un goût d’abeille,Et dont le flanc doré, creusé jusqu’à moitié,Offre une voûte blanche et d’un grain régulier.Choisis-moi le raisin qu’une poussière voileEt qui semble un insecte enroulé dans sa toile.Garde-toi d’oublier le cassis desséché,La pêche qui balance un velours ébréchéEt cette prune bleue allongeant sous l’ombrageSon œil d’âne troublé par la brume de l’âge.Jette, si tu m’en crois, ces ramures de buisEt ces feuilles de chou, mais laisse sur tes fruitsS’entre-croiser la mauve et les pieds d’alouetteQu’un liseron retient dans son fil de clochettes.*Te voilà, mon petit amant page 71Te voilà, mon petit amant,Sur le grand lit de ta maman.Tu gambades, tu te trémousses,Tu jettes des ruades douces ;Tu pétris mon cou dans ta main,Tu baves ton lait du matin,Jeune allégresse de la terre.Tu me trouves belle et légère,Tu m’aimes, nous nous caressons,Nous avons les mêmes façonsDe rire aux poudres de lumièreQui dansent dans la chambre claire.Je peux t’embrasser, te tenir,Soupeser ton bel avenir.Bonjour, ma petite statueDe sang, de joie et de chair nue.Mon petit double, mon émoi,Je me touche en pressant tes doigts.Laisse que j’effleure ta joue,Je bois les bulles de ta moue,Je te palpe avec mes baisers.Ne bouge plus. Viens reposerSur moi ta fatigue endormie ;Sois comme ma main engourdieQui me paraît, restant à moi,La main d’un autre. Je suis toi.Fumées page 119Le brouillard fonduPrend les arbres nusDans sa molle haleine.Le jardin frileuxSous un voile bleuSe devine à peine.Le soleil blafardRésout le brouillardEn perles d’eau blancheDont le tremblementMiroite et s’étendA toutes les branches.*Primevère Page 185Je t’ai écrit au clair de luneSur la petite table ovale,D’une écriture toute pâle,Mots tremblés, à peine irisésEt qui dessinent des baisers.Car je veux pour toi des baisersMuets comme l’ombre et légersEt qu’il y ait le clair de luneEt le bruit des branches penchéesSur cette page détachée._______________________